Plusieurs personnes ont communiqué avec nous au cours des dernières semaines après avoir reçu la signification d’une déclaration (« Statement of Claim ») les informant qu’elles sont assignées en justice devant la Cour fédérale du Canada, plus précisément en tant que défenderesses dans le cadre d’une action simplifiée dont l’objet est la violation alléguée de droits d’auteur dans une œuvre cinématographique par l’intermédiaire du protocole de transfert de données pair à pair appelé BitTorrent® (« BitTorrent ») (globalement : une « Déclaration »).

Le contenu d’une Déclaration peut sembler intimidant pour plusieurs en ce qu’il est constitué d’allégations à caractère technique et juridique qui sont rédigées en langue anglaise uniquement. Cette publication vise à fournir des informations générales quant (i) à la façon dont vous avez été identifié(e) personnellement par la partie demanderesse; (ii) à la nature des allégations qui sont formulées dans une Déclaration et (iii) aux démarches qui suivent généralement la signification d’une Déclaration.

Comment la partie demanderesse a-t-elle pu vous identifier personnellement?

Afin de répondre à la question reproduite ci-dessus, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de BitTorrent et, de façon plus générale, des protocoles de transfert de données pair à pair. En termes généraux, BitTorrent peut être assimilé à une plateforme numérique permettant le partage de fichiers informatiques entre internautes. Ce partage est rendu possible lorsqu’un utilisateur téléverse (« uploads ») pour la première fois un fichier informatique complet sur la plateforme. Le fichier téléversé devient alors accessible à tous les utilisateurs de la plateforme qui peuvent le télécharger (« download »), en tout ou en partie, sur leur propre appareil. Dès qu’un utilisateur débute le téléchargement du fichier en cause, il rend lui-même le matériel téléchargé (ou une partie de celui-ci) accessible aux autres utilisateurs. 

Tous les utilisateurs qui participent au partage d’un même fichier sont désignés en tant qu’ « essaim » (« swarm »). En général, le nombre d’utilisateurs composant un essaim est inversement proportionnel au temps requis pour compléter le téléchargement du fichier concerné : c’est là que réside le principal attrait de BitTorrent et des autres protocoles de transfert de données pair à pair. Or, chaque utilisateur qui fait partie d’un essaim peut consulter l’adresse IP (« Internet Protocol ») des autres utilisateurs appartenant à ce même essaim. En conséquence, il est possible que la partie demanderesse vous ayant signifié une Déclaration ait obtenu votre adresse IP suivant la surveillance de la liste d’utilisateurs composant un essaim créé afin de partager un fichier qui permet d’accéder à du contenu protégé par droits d’auteur.

À ce stade-ci, vous vous demandez peut-être comment cette partie demanderesse serait parvenue à vous identifier personnellement sur la base d’une adresse IP. Pour ce faire, la partie demanderesse a pu s’adresser à la Cour fédérale du Canada afin d’obtenir une ordonnance de type « Norwich »1, en l’occurrence une ordonnance enjoignant à un fournisseur de services Internet de lui communiquer le nom et l’adresse civique de chacun de ses abonnés qui est associé à l’une ou l’autre des adresses IP obtenues au terme de l’exercice de surveillance susmentionné2. D’ailleurs, une copie de cette ordonnance est vraisemblablement jointe à la liasse de documents accompagnant une Déclaration ayant pu vous être signifiée. 

Soyez néanmoins rassuré(e), les ordonnances de type « Norwich » qui sont prononcées en pareil contexte par la Cour fédérale du Canada font l’objet d’un encadrement strict en matière de confidentialité.

Quelle est la nature des allégations contenues dans une Déclaration?

L’objet principal théorique d’une Déclaration pour la partie demanderesse consiste à obtenir de la Cour fédérale du Canada une ordonnance aux termes de laquelle les défendeurs sont tenus de l’indemniser pour le préjudice qu’elle prétend avoir subi en raison de la violation alléguée de ses droits d’auteur dans une œuvre cinématographique partagée sans autorisation par l’intermédiaire de BitTorrent.

Plus spécifiquement, la partie demanderesse reproche aux défendeurs d’avoir violé ses droits d’auteurs dans ladite œuvre cinématographique en la communiquant au public par télécommunication3, soit en donnant l’opportunité aux autres utilisateurs de BitTorrent de la télécharger et téléverser à leur tour. Subsidiairement, la partie demanderesse prétend que les défendeurs ont autorisé4 la communication de l’œuvre concernée au public par télécommunication en rendant leur connexion au réseau Internet accessible à une tierce partie l’ayant utilisée pour télécharger et téléverser ladite œuvre à l’aide de BitTorrent.

D’un point de vue pratique, la partie demanderesse cherche à convenir d’une entente de règlement extrajudiciaire, et ce, avec le plus grand nombre de défendeurs. Cette motivation de la partie demanderesse s’explique principalement par le fait qu’elle est pour le moins incertaine de pouvoir s’acquitter de son fardeau de preuve, c’est-à-dire de convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que chacun des défendeurs a (i) communiqué l’œuvre protégée par droits d’auteur au public par télécommunication en utilisant BitTorrent ou (ii) autorisé la communication de cette œuvre au public par télécommunication en rendant sa connexion au réseau Internet accessible à une tierce partie l’ayant utilisée pour télécharger et téléverser ladite œuvre à l’aide de BitTorrent5. Cette incertitude vaut également pour les défendeurs n’ayant pas daigné répondre à une Déclaration en déposant leur défense au greffe de la Cour fédérale du Canada en temps opportun6.

Par ailleurs, même si la partie demanderesse parvenait à convaincre le tribunal que ses droits d’auteur ont été violés par un défendeur, il lui appartient de démontrer l’ampleur des dommages subis en lien avec cette violation. Si ces dommages sont inexistants ou ne peuvent être adéquatement quantifiés, il est hautement probable que la partie demanderesse opte pour le recouvrement de dommages-intérêts préétablis par la Loi sur le droit d’auteur, lesquels varient de 100$ à 5000$ par défendeur dans le cas de violations commises à des fins non commerciales7. La détermination du montant exact auquel doivent s’élever les dommages-intérêts préétablis à l’égard d’un défendeur est laissée à la discrétion du tribunal, qui tient compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, y compris :

«38.1(5) […]

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur; 

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci; 

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question; [et] d) dans le cas d’une violation qui est commise à des fins non commerciales, la nécessité d’octroyer des dommages-intérêts dont le montant soit proportionnel à la violation et tienne compte des difficultés qui en résulteront pour le défendeur, du fait que la violation a été commise à des fins privées ou non et de son effet sur l[a] demande[resse]. »8

Au demeurant, la stratégie de la partie demanderesse repose sur l’idée d’impliquer le plus grand nombre de personnes possible dans une instance judiciaire intrinsèquement complexe et intimidante, sans égard à la valeur de la preuve dont elle dispose à l’encontre de chacune de ces personnes. Cette stratégie très répandue et sévèrement critiquée9 aux États-Unis a été importée au Canada où les procédures judiciaires fondées sur celle-ci se multiplient d’année en année. Bien qu’il soit justifiable pour le titulaire de droits d’auteur sur une œuvre de protéger les actifs composant son portefeuille de propriété intellectuelle, nous estimons qu’il est regrettable que les mécanismes prévus par la Loi sur le droit d’auteur soient utilisés à des fins plus mercantiles que substantives.

Quelles sont les démarches qui suivent généralement la signification d’une Déclaration?

Un défendeur dispose d’un délai de trente (30) jours à compter de la date à laquelle il reçoit la signification d’une Déclaration pour signifier et déposer sa défense10. Tout défendeur qui néglige de compléter ces démarches dans le délai imparti s’expose au risque que la Cour fédérale du Canada rende un jugement par défaut à son encontre11.

Après avoir signifié et déposé sa défense, un défendeur reçoit généralement des documents additionnels concernant les allégations de violation de droits d’auteur ainsi qu’une offre écrite de règlement faite conformément à l’article 420 des Règles sur les Cours fédérales12. L’approche à privilégier devient alors tributaire d’éléments subjectifs variant selon chaque défendeur. Certains préfèrent l’avenue d’un règlement afin d’éviter le stress et les inconvénients inhérents au fait d’être impliqués dans un processus judiciaire, tandis que d’autres refusent catégoriquement de payer une quelconque somme en lien avec les allégations formulées dans la Déclaration leur ayant été signifiée.

Dans tous les cas, nous vous recommandons fortement de retenir les services d’un avocat spécialisé en propriété intellectuelle afin de bénéficier d’un accompagnement professionnel dans le cadre des démarches que vous entreprendrez en lien avec une Déclaration. Votre avocat peut vous aider à identifier les faiblesses que renferme le dossier de la partie demanderesse et, le cas échéant, à négocier un règlement extrajudiciaire conséquent.

À propos

Pour toute question en lien avec le contenu du présent article, vous êtes invité(e) à communiquer avec le soussigné à l’adresse électronique suivante : adam.ansari@cainlamarre.ca.

Rien dans le présent article ne doit être interprété comme constituant un avis juridique. 

_________________________________________

[1] Les ordonnances de type « Norwich » sont appelées ainsi en référence au nom commercial de la partie demanderesse dans une décision rendue par la Chambre des lords du Royaume-Uni : Norwich Pharmacal Co. & Others v. Customs and Excise Commissioners, [1974] AC 133 (R‑U, HL).

[2] Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, par. 18-19.

[3] Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42, al. 3(1)f), par. 2.4(1.1) et par. 27(1).

[4] Id., par. 3(1) et 27(1).

[5] Voltage Holdings, LLC c. M. Untel No 1, 2022 CF 827, par. 35 (violation directe) et 62-63 (violation indirecte).

[6] Id., par. 1. Dans cette affaire, la Cour fédérale du Canada était saisie d’une requête visant l’obtention d’un jugement par défaut à l’encontre de certains défendeurs.

[7] Loi sur le droit d’auteur, préc., note 3, al. 38.1(1)b).

[8] Id., par. 38.1(5).

[9] Voir notamment Matthew SAG & Jake HASKELL, “Defense Against the Dark Arts of Copyright Trolling”, dans Iowa Law Review, vol. 103:571, 2018.

[10] Règles sur les Cours fédérales, DORS/98-106, al. 204(1)a).

[11] Id., al. 210(1).

[12] Id., al. 420(1). Il s’agit d’une offre formelle déposée au dossier judiciaire qui permet à la partie demanderesse d’obtenir les dépens (frais judiciaires) jusqu’à la date de la signification de la Déclaration et le double des dépens encourus après cette date, dans la mesure où, à la fois (i) le jugement final qu’elle obtient, le cas échéant, est aussi avantageux ou plus avantageux que l’offre faite et (ii) cette offre a été refusée par le défendeur visé.