La responsabilité d’un entrepreneur général qui octroie un contrat à un entrepreneur spécialisé ayant déposé une soumission non conforme au Bureau des soumissions déposées du Québec (« BSDQ ») peut-elle être retenue ?
Il s’agit d’une délicate question où s’affronte plusieurs principes, dont l’obligation de déposer une soumission conforme, l’obligation d’analyser et d’octroyer un contrat qu’au plus bas soumissionnaire conforme et l’obligation de s’exécuter en cas d’adjudication.
Les tribunaux ont parfois partagé la faute entre l’entrepreneur général et l’entrepreneur spécialisé, parfois déclaré l’entrepreneur spécialisé comme unique responsable des dommages causés par le dépôt au BSDQ d’une soumission non conforme. La question ne semble donc pas avoir de réponse universelle, mais de plutôt dépendre des faits de chaque cas d’espèce.
Récemment, la Cour d’appel a rendu une décision en application de cette question¹.
Construction D.L.T., (« DLT ») est un entrepreneur général qui a obtenu un contrat à la suite d’un appel d’offres de la Société québécoise des infrastructures (« SQI »). Elle a confié les travaux de plomberie en sous-traitance à l’appelante, 9311-8925 Québec Inc. (« Plomberie Dion »), le seul entrepreneur spécialisé à lui avoir transmis une soumission par l’entremise du BSDQ.
Or, après la signature du contrat, Plomberie Dion réalise qu’elle n’a pas toutes les licences exigées par la Régie du bâtiment du Québec (« RBQ ») pour réaliser l’ensemble de son mandat.
Ce faisant, DLT a octroyé le contrat à un nouveau sous-traitant et réclame maintenant la différence de prix entre le montant de ce nouveau contrat et celui de Plomberie Dion.
La Cour d’appel est donc appelée à trancher qui est responsable du préjudice subi par DLT suivant l’erreur de licence. Est-ce Plomberie Dion pour avoir soumissionné alors qu’elle ne détenait pas l’ensemble des licences requises ou DLT qui ne s’était pas assuré de la conformité de la soumission?
La Cour d’appel réitère le principe que l’omission de détenir la licence requise constitue une erreur majeure quant à la conformité de la soumission, créant un obstacle à l’obtention d’un contrat de construction.
À titre de rappel, le BSDQ a pour but de « régulariser et d’améliorer, au profit de tous, les procédures de dépôt de soumissions »². Afin d’atteindre cet objectif, l’article C-1 du Code de soumission du BSDQ³ (« Code ») prévoit qu’une soumission soumise au BSDQ ne peut être acceptée que si l’entrepreneur soumissionnaire détient la licence appropriée délivrée par la RBQ et signe préalablement à sa soumission l’engagement prévu par cet article. La même règle s’applique à l’entrepreneur destinataire des soumissions afin d’être autorisé à prendre possession de celles-ci⁴.
Ces engagements réciproques pris librement en vertu du Code constituent un « contrat collectif » entre l’entrepreneur soumissionnaire et l’entrepreneur destinataire⁵ et leur non-respect constitue une faute contractuelle qui peut mener à des recours disciplinaires ou judiciaires⁶.
La Cour d’appel est d’avis qu’en soumissionnant, même par inadvertance, des travaux qu’elle n’a pas les licences légalement requises pour exécuter, Plomberie Dion a commis une faute au sens du Code, engageant ainsi sa responsabilité à être entièrement responsable du préjudice⁷, et ce, même si elle était de bonne foi.
Il n’était pas de la responsabilité de DLT de vérifier les licences de tous les sous-traitants ayant soumissionné. DLT pouvait se fier à l’engagement C-1 prévu par le Code.
En terminant, bien que la décision du plus haut tribunal de la province absout l’entrepreneur DLT, nous conseillons fortement aux entrepreneurs de vérifier si les soumissionnaires dans les projets détiennent véritablement les licences appropriées et qui, dans certaines circonstances, permettrait d’éviter ce genre de litige.
Pour toute question en lien avec le contenu du présent article, vous êtes invité(e) à communiquer avec le soussigné à l’adresse électronique suivante : yannick.richard@cainlamarre.ca et cedric.fortin.neron@cainlamarre.ca
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[1] 2023 QCCA 1445.
[2] Construction BFC Foundation ltée c. Entreprises Pro-Sag inc., 2013 QCCA 1253, par. 55.
[3] https://bsdq.org/fr/le-code/le-code-de-soumission/preambule/.
[4] Code, art. C-2.
[5] Id., par. 59-61.
[6] Construction BFC Foundation ltée c. Entreprises Pro-Sag inc., préc., note 2, par. 59 et 62.
[7] 9311-8925 Québec inc. (Plomberie Dion Desjardins) c. Construction DLT (2014) inc., préc., note 1, par. 16 et 18.