par Me Véronique Aubé, B.A., CRIA – Cain Lamarre

La surveillance vidéo des employés constitue une atteinte à la vie privée. Bien que l’expectative raisonnable de vie privée soit réduite au travail et que la conduite du camionneur se déroule à la vue du public, tout employeur qui veut restreindre ce droit à la vie privée doit justifier sa décision.

Plus précisément, la jurisprudence reconnait qu’un employeur peut aller de l’avant avec la surveillance par caméra si deux critères sont remplis :

1. rationalité – motifs réels et sérieux existant antérieurement à la surveillance et visant à régler un problème (ex. : sécurité, vandalisme, vol, prévention, formation);

ET

2.  proportionnalité – atteinte minimale au droit à la vie privée.

Afin de respecter le principe de proportionnalité, mais aussi d’éviter que la surveillance entraine des conditions de travail déraisonnables, l’employeur doit respecter les principes suivants quant à l’utilisation des caméras :

– ne pas cibler les employés de façon individuelle;

– ne pas viser l’évaluation de la conduite ou de la qualité du travail des employés;

– ne pas filmer de façon constante ou continue;

– visualiser les images uniquement dans un but précis et préalablement identifié;

– limiter l’accès des enregistrements à un nombre restreint de personnes.

Des décisions portent spécifiquement sur la surveillance de véhicules lourds par un système de caméra DriveCam et filmant à l’extérieur du camion et à l’intérieur de l’habitacle. Tel qu’il appert des décisions répertoriées, ce système DriveCam, qui n’enregistre que pendant 12 secondes certains incidents qui semblent poser problème, est utilisé notamment comme outil de prévention et de formation.

En 2018, dans l’affaire Lafarge1, le tribunal d’arbitrage confirme qu’une entreprise exploitant des usines de béton et de ciment peut installer dans l’habitacle de ses bétonnières, orienté vers le conducteur, un système de caméra DriveCam qui surveille les chauffeurs dans le but d’améliorer leur conduite, de veiller à la sécurité du public et d’éliminer les risques d’accident. Le système est vu comme une intrusion légère. Les dangers associés à la conduite d’une bétonnière, tels les risques de virement (rollover) vu le centre de gravité plus haut, ont été pris en compte par le tribunal, tout comme l’importance accordée à la santé et la sécurité et le fait que plusieurs mesures de prévention étaient déjà en place dans l’entreprise (formation, rencontres mensuelles de groupe, analyse d’incidents). L’employeur jugeait avoir atteint la limite de ses outils et a allégué qu’il était nécessairede connaitre les véritables causes d’accidents ou d’incidents par le biais de la surveillance vidéo.

En 2014, dans l’affaire Linde2, le tribunal d’arbitrage a également confirmé la légalité du système DriveCam dans l’habitacle de camions transportant des matières dangereuses. Le tribunal prend en compte les raisons qui ont motivé la décision de procéder à la surveillance, le positionnement de la caméra, les règles relatives au visionnement des images enregistrées ainsi que l’usage que souhaite en faire l’employeur. Dans cette affaire, le tribunal insiste sur la nature des activités de l’entreprise, soit le transport de matières dangereuses, les exigences très strictes de conduite sécuritaire dans ce contexte et la période prolongée de conduite des chauffeurs. L’enjeu de sécurité dans ce contexte est déterminant pour l’arbitre.

En 2017, dans l’affaire Sysco3, la Cour supérieure a confirmé une sentence arbitrale qui a accueilli un grief alléguant que la surveillance de chauffeurs-livreurs dans le secteur alimentaire entraine des conditions de travail injustes et déraisonnables. Dans ce cas, le tribunal a jugé que la surveillance vidéo n’était pas nécessaire en raison de l’inexistence d’un problème précis en matière de sécurité et du fait que d’autres moyens moins attentatoires étaient à la disposition de l’employeur. Pour ces motifs, le tribunal juge que la surveillance ne se justifiait pas et que la sécurité n’imposait pas une telle atteinte à la vie privée. L’arbitre de grief distingue ce dossier de l’affaire précédente (transport de matières dangereuses) en soulignant que l’employeur n’a pas réussi à démontrer la nécessité de la surveillance et encore moins son caractère proportionnel vu l’absence de preuve d’une problématique de sécurité des travailleurs ou d’accidents. Il note que l’employeur aurait pu examiner au préalable d’autres mesures de prévention, notamment plus de formation des chauffeurs, du travail en tandem ou des caméras uniquement à l’extérieur du camion.

Tel est l’état du droit sur les caméras de surveillance dans les camions. Les balises ci-haut énoncées sont clairement reconnues par les décideurs. Néanmoins, la légalité de la surveillance vidéo dépendra de la nature des activités de l’entreprise, de la preuve au soutien du motif invoqué, de la présence ou non de solutions de rechange ainsi que de la proportionnalité quant à sa mise en application.

1 Syndicat des métallos section locale 7625 c. Lafarge Canada inc., 2018 QCTA 718.
2 Teamsters Québec section locale 106 c. Linde Canada ltée, 2014 QCTA 943.
3 Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec c. Sysco Services alimentaires du Québec, 2016 QCTA 455, confirmé par 2017 QCCS 3791.