Résumé

L’auteur commente cet arrêt de la Cour d’appel dans lequel un locateur se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Cour du Québec ayant rejeté ses réclamations envers son locataire par l’application d’une fin de non-recevoir.

Introduction

Dans la décision 9378-1417 Québec inc. c. Groupe Ilqueau inc.1, la Cour d’appel confirme un jugement de première instance ayant rejeté les réclamations d’un locateur à l’encontre de son locataire ayant quitté les lieux avant la fin du bail commercial auquel les parties étaient tenues, essentiellement au motif que le locateur était, par son comportement, à l’origine de la situation dont elle se plaignait devant la Cour.

Voyant dans cette conclusion l’imposition d’une fin de non-recevoir de manière implicite, la Cour d’appel, tout en confirmant le jugement de première instance, réitère les tenants et aboutissants de cette notion dont les contours sont parfois difficiles à cerner.

Cette décision constitue de plus un cas d’application fort intéressant de la notion de fin de non-recevoir en matière de louage commercial. En effet, cette décision illustre de manière patente qu’un locateur ne peut, devant les intentions annoncées de son locataire de quitter les lieux avant le terme du bail, simplement garder le silence et laisser entrevoir une possibilité d’entente pour ensuite réclamer de son locataire la perte de loyer résultant du départ anticipé de ce dernier.

1. Les faits

L’affaire tire son origine d’un bail commercial d’une durée de cinq ans, soit du 1er août 2015 au 31 juillet 2020.

À la mi-mars 2019, l’intimée – locataire – communique verbalement à l’appelante – locateur – son intention de quitter les locaux loués avant terme, vraisemblablement en juin 2019. Le locataire réitère son intention dans un courriel transmis à l’appelante à la mi-avril 2019 et auquel le locateur a répondu qu’il s’attendait à ce que le bail soit respecté, tout en évoquant la possibilité que les parties s’entendent pour y mettre fin avant le terme. Dans sa réponse, le locateur manifeste également son intention de communiquer avec le locataire dans les jours suivants afin de fixer une rencontre.

N’ayant eu aucune nouvelle, le locataire relance le locateur dans un courriel transmis au début du mois de mai 2019 et dans lequel il lui exprime son désir de connaître sa position afin qu’il puisse savoir à quoi s’en tenir. Le locateur n’y donne aucunement suite.

Le locataire quitte finalement les locaux loués à la fin du mois de septembre 2019, soit dix mois avant le terme du bail. Les locaux n’ont pas été loués à quiconque par la suite, la preuve ayant révélé que le locateur avait subséquemment décidé de les occuper pour ses propres besoins.

Le 27 septembre 2019, le locateur transmet au locataire une mise en demeure lui réclamant le paiement des loyers pour les dix mois restants au bail, soit pour la période à compter du mois d’octobre 2019 jusqu’au 31 juillet 2020. Par la même occasion, le locateur reproche au locataire de n’avoir « jamais exprimé par écrit le souhait de quitter les lieux avant la fin [du] contrat de location » – allégation que le juge de première instance retient comme étant fausse à la lumière des courriels transmis par le locataire au courant des mois de mars et d’avril 2019.

Le locataire n’ayant pas donné suite à cette mise en demeure, le locateur introduit donc à l’encontre de ce dernier une Demande introductive d’instance par laquelle il réclame le paiement de dix mois de loyer ainsi que le remboursement des honoraires extrajudiciaires qu’il a encouru sur la base d’une clause en ce sens prévue au bail.

En première instance2, la Cour du Québec rejette les réclamations du locateur. Le juge de première instance retient donc que le locateur avait manqué à son devoir d’agir de bonne foi en refusant de donner suite aux démarches entreprises par le locataire en vue de discuter d’une résiliation amiable du bail et en manquant de transparence quant à ses intentions réelles relativement à la demande de cette dernière, allant même jusqu’à qualifier le comportement du locateur dans les circonstances de « silence radio »3. Bref, après avoir constaté que le locataire avait quant à lui agi en toute bonne foi, le juge rejette les demandes du locateur, les jugeant déraisonnables, mal fondées et abusives. Pour le juge, le locateur, par son silence et son manque de transparence, a lui-même causé la situation dont il se plaint maintenant, et il ne peut donc en profiter4. Bref, « [u]ne personne, qu’elle soit créancière ou débitrice, ne doit pas tirer profit de sa mauvaise conduite »5.

2. La décision

Dans le cadre d’un arrêt unanime rendu par les honorables Yves-Marie Morissette, Jocelyn F. Rancourt et Frédéric Bachand, la Cour d’appel rejette l’appel et confirme le jugement de première instance6.

D’entrée de jeu, la Cour d’appel note que le juge de première instance n’a pas rejeté les réclamations de l’appelante au motif qu’elles étaient mal fondées. Plutôt, le juge de première instance a rejeté ces réclamations au motif qu’il les a jugées irrecevables. Ainsi, pour la Cour appel, le juge de première instance a sanctionné implicitement le manquement du locateur par l’imposition d’une fin de non-recevoir7.

La Cour d’appel, se référant à la jurisprudence sur le sujet8, rappelle que la fin de non-recevoir permet de constater l’irrecevabilité d’une action par ailleurs bien fondée afin de sanctionner le comportement répréhensible de la partie demanderesse, y compris en cas de manquement au devoir d’agir de bonne foi9. En d’autres termes, la fin de non-recevoir sanctionne le comportement déloyal ou non coopératif par le rejet de la demande ou du moyen de défense formulé par l’auteur même du problème.

La Cour d’appel rappelle par la même occasion que le comportement répréhensible n’a pas à être une faute au sens habituel du terme, ni à être nécessairement malicieux. L’évaluation du comportement répréhensible se fait en considération des principes de bonne foi et d’équité10.

Ainsi, pour avoir gain de cause, l’appelante aurait dû convaincre la Cour que le juge avait commis une erreur révisable soit en constatant qu’elle avait manqué à son devoir d’agir de bonne foi, soit en constatant qu’il y avait lieu de sanctionner ce comportement par l’imposition d’une fin de non-recevoir. Or, aucun des neuf moyens11 soulevés par l’appelante n’ayant pour objet l’un ou l’autre de ces constats, la Cour d’appel rejette en conséquence l’appel12.

La Cour ajoute de plus que – sans affirmer qu’elle aurait tranché le litige comme l’a fait le juge de première instance – elle ne décèle aucune erreur manifeste et déterminante dans l’analyse du premier juge qu’il y avait lieu de sanctionner le comportement de l’appelante par une fin de non-recevoir13.

3. Le commentaire de l’auteur

Depuis l’arrêt de principe de la Cour Suprême du Canada à ce sujet14, la notion de fin de non-recevoir a fait couler beaucoup d’encre en jurisprudence québécoise. La décision commentée s’ajoute à ce corpus jurisprudentiel en réitérant clairement et de manière concise les contours de cette notion fréquemment décrite comme étant imprécise15. En effet, il faut rappeler que le tribunal dispose d’un pouvoir d’appréciation substantiel dans l’application ou non d’une fin de non-recevoir.

D’abord, la Cour d’appel rappelle que le comportement à l’origine de la fin de non-recevoir n’a pas nécessairement à être une faute au sens habituel du terme, ni à être malicieux. Cela dit, il est clair pour la Cour d’appel que la bonne foi est au coeur de la notion de fin de non-recevoir, le comportement répréhensible devant être évalué en considération des principes de bonne foi et d’équité.

Par la suite, la Cour d’appel confirme implicitement qu’une omission – ici le « silence radio » du locateur pendant plusieurs mois – peut donner lieu à l’imposition d’une fin de non-recevoir16. Effectivement, certaines décisions antérieures semblaient imposer un comportement positif au créancier à qui on opposait une fin de non-recevoir pour que la théorie de la fin de non recevoir puisse trouver application17.

Cette décision constitue de plus un cas d’application flagrant de l’obligation prévue à l’article 1375 C.c.Q. d’agir de bonne foi « tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. » On peut également y voir une analogie avec le concept de réticence dolosive dans le cadre de la conclusion d’un contrat – concept qui trouve également sa source dans l’obligation d’agir de bonne foi. Un cocontractant ne peut ainsi laisser son cocontractant croire une chose sans le détromper, ou encore s’abstenir de révéler un fait important qui changerait sa volonté de contracter18.

En ce sens, cette décision constitue également un cas d’application fort intéressant de la notion de fin de non-recevoir en matière de louage. Plus particulièrement, cette décision démontre de manière patente qu’un locateur ne peut se contenter de garder le silence devant les intentions exprimées de son locataire de quitter les locaux loués avant l’arrivée du terme, sans s’exposer à de lourdes conséquences. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans – nul ne peut invoquer sa propre turpitude!

Conclusion

La décision commentée rappelle à notre avis d’une manière claire et concise les contours de la notion de fin de non-recevoir en droit des obligations.

Elle constitue également un cas d’application fort intéressant de la notion de fin de non-recevoir en matière de louage.

Me Alec Poiré-Michaud, est avocat au sein du cabinet Cain Lamarre et concentre sa pratique en litige dans les domaines du droit de l’assurance et de la construction.

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[1] 2023 QCCA 351, EYB 2023-518750.

[2] 9378-1417 Québec inc. c. Groupe Ilqueau inc., 2021 QCCQ 13630, EYB 2021-421097.

[3] Ibid., par. 54-55, 89, 99, 104-108.

[4] Jugement commenté, par. 6 ; 9378-1417 Québec inc. c. Groupe Ilqueau inc., 2021 QCCQ 13630, EYB 2021-421097, par. 116.

[5] Ibid.

[6] 9378-1417 Québec inc. c. Groupe Ilqueau inc., 2021 QCCQ 13630, EYB 2021-421097.

[7] Jugement commenté, par. 8. En effet, il est intéressant de noter que jamais dans son jugement le juge de première instance ne réfère expressément au concept de « fin de non-recevoir ». Voir à ce sujet Didier LLUELLES et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Éditions Thémis, 3e éd., 2018, p. 1177 (no 2032, EYB2018THM194).

[8] Notamment l’arrêt célèbre de la Cour suprême dans Banque Nationale c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339, EYB 1981- 148709, ainsi que l’arrêt récent Syndic de Distribution Pri inc., 2020 QCCA 487, EYB 2020-350597.

[9] Jugement commenté, par. 9, citant Syndic de Distribution Pri inc., 2020 QCCA 487, EYB 2020-350597.

[10] Jugement commenté, par. 9, citant Syndic de Distribution Pri inc., 2020 QCCA 487, EYB 2020-350597.

[11] Jugement commenté, par. 8. La Cour d’appel souligne d’ailleurs d’entrée de jeu à ce paragraphe que les moyens d’appel « ratent cependant la cible » à la lumière de la conclusion du juge de première instance que les réclamations sont irrecevables.

[12] Jugement commenté, par. 10.

[13] Jugement commenté, par. 11.

[14] Banque Nationale c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339, EYB 1981-148709.

[15] Voir notamment Daniel GARDNER, « Le point sur deux mécanismes aux contours mal définis : la novation par changement de débiteur et la théorie des fins de non-recevoir », (2002) 104 R. du N. 511.

[16] Voir dans le même sens Axa Assurances inc. c. Assurances générales des Caisses Desjardins inc., 2009 QCCS 862, EYB 2009-155482 (conf. par 2011 QCCA 584, EYB 2011-188724).

[17] Voir notamment Gennium Pharmaceutical Products Inc. c. Genpharm inc., 2008 QCCS 2292, EYB 2008-134142 et 3216438 Canada Inc. c. Dagan, 2008 QCCS 5508, EYB 2008-150911.

[18] Pour un exemple relativement récent d’application de la notion de réticence dolosive, voir Ville de Salaberry-de Valleyfield c. Construction NRC inc., 2021 QCCA 844, EYB 2021-390781, par. 27 et s.