Le 20 juin 2024, le Projet de loi C-58, la Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles1 (ci-après « Projet de loi ») a reçu la sanction royale. Ce dernier instaure principalement de nouvelles mesures visant à interdire aux employeurs de juridiction fédérale2 d’avoir recours aux travailleurs de remplacement lors d’une grève ou d’un lock-out.
Les points clés
Parmi les points clés, mentionnons notamment la modification de la portée de l’interdiction de recourir aux travailleurs de remplacement, qui supprime l’exigence de démontrer l’intention de l’employeur de miner la capacité de représentation du syndicat. Est également mise de l’avant l’interdiction d’utiliser les services de certaines catégories de personnes afin d’exercer les fonctions d’un employé de l’unité de négociation ou en lock-out. Notons qu’en cas de contravention à ces interdictions, des sanctions pécuniaires pourraient désormais être imposées aux employeurs. Enfin, certains ajustements visent à améliorer le processus entourant le maintien des activités en cas de grève ou de lock-out.
En somme, le Projet de loi instaure plusieurs changements notoires au Code canadien du travail3 (ci-après « Code canadien ») qui protègent le droit de grève, ce qui aura fort probablement un impact important sur l’équilibre du rapport de force entre les parties syndicales et patronales dans le secteur fédéral.
Nous allons donc, dans cet article, passer en revue les principales modifications apportées au Code canadien par le Projet de loi.
Interdiction relative aux travailleurs de remplacement
Le Projet de loi abroge l’article 94(2.1) du Code canadien, lequel imposait aux syndicats, lors d’un recours à des travailleurs de remplacement, le fardeau de démontrer l’intention de l’employeur de miner la capacité de représentation d’un syndicat. Or, il était généralement difficile pour la partie syndicale de démontrer un tel objectif, de sorte que les employeurs fédéraux pouvaient faire appel plus aisément à des travailleurs de remplacement. Un tel amendement modifie considérablement les règles du jeu et instaure des mesures robustes afin de restreindre le recours aux travailleurs de remplacement.
De fait, les nouvelles dispositions du Projet de loi précisent les catégories de personnes dont les services ne peuvent être retenus, en cas de grève ou de lock-out, à savoir :
- tout employé qui a été engagé après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné ou toute personne qui occupe un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail et qui a été engagée après cette date4;
- tout entrepreneur, autre qu’un entrepreneur dépendant, ou tout employé d’un autre employeur5;
- tout employé qui travaille habituellement dans un lieu de travail autre que celui où se déroule la grève ou le lock-out ou qui a été transféré dans le lieu de travail où se déroule la grève ou le lock-out après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné6;
- tout bénévole, étudiant ou membre du public7.
En lien avec la seconde interdiction, le Projet de loi précise que si l’employeur utilisait les services d’un entrepreneur ou d’un employé d’un autre employeur avant que l’avis de négociation ne soit donné, l’employeur pourra continuer à utiliser de tels services « de la même manière, dans la même mesure et dans les mêmes circonstances qui prévalaient » avant l’avis de négociation8.
Concernant la troisième et la quatrième interdictions, il est intéressant de souligner qu’elles représentent des restrictions additionnelles en comparaison à celles énoncées dans la version du Projet de loi présentée en novembre 2023.
Exceptions du Projet de loi C-58
Mentionnons que le Projet de loi introduit certaines exceptions permettant le recours à des travailleurs de remplacement. Dans des circonstances où il existe une « menace pour la vie, la santé et la sécurité de toute personne », une menace de « destruction ou de détérioration grave des biens ou des locaux de l’employeur » ou une menace de « graves dommages environnementaux touchant ces biens ou ces locaux », l’employeur pourra avoir recours à des travailleurs de remplacement, mais à deux conditions9 :
- l’utilisation desdits travailleurs doit être nécessaire pour parer à la situation; et
- l’employeur doit d’abord avoir donné aux employés de l’unité de négociation en grève ou en lock-out la possibilité d’effectuer le travail nécessaire10.
Pénalités pécuniaires
Le Projet de loi C-58 établit que l’utilisation illégale de travailleurs de remplacement sera considérée comme une infraction pénale de nature sommaire. Ainsi, des amendes conséquentes pourront être encourues, et ce, allant jusqu’à 100 000$ « pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se poursuit l’infraction »11.
Maintien des activités
En cas de grève ou de lock-out, le Code canadien impose déjà aux employeurs, aux syndicats et aux employés la responsabilité de maintenir certaines activités afin de prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public12.
Afin de renforcer le processus de maintien de ces activités, le Projet de loi apporte des modifications substantielles au Code canadien en abrogeant certaines dispositions pour y introduire de nouvelles exigences13.
Dorénavant, les employeurs et les syndicats devront conclure une entente dès le début des négociations afin de déterminer les tâches qui doivent être maintenues en cas de grève ou de lock-out. Cette modification vise à encourager les parties à parvenir à un accord de manière plus efficace et accélérée.
Le Projet de loi C-58 exige que cette entente intervienne au plus tard quinze (15) jours suivant la remise de l’avis de négociation collective14. Elle devra préciser les activités dont le maintien est nécessaire en cas de grève ou de lock-out ainsi que la manière et la mesure dans lesquelles les parties devront les maintenir15. Une telle entente devra être déposée auprès du ministre du Travail et du Conseil canadien des relations industrielles16, et ce, comme condition préalable à la remise d’un préavis de grève ou de lock-out17.
À noter que si les parties ne parviennent pas à s’entendre dans le délai imparti, l’une ou l’autre peut demander au Conseil canadien des relations industrielles de résoudre les questions en suspens et ce dernier sera tenu de rendre une décision dans les quatre-vingt-deux (82) jours suivant la réception de la demande18.
Enfin, à titre de mesure additionnelle visant à permettre le bon déroulement du processus relatif au maintien des activités, le Projet de loi introduit la possibilité de nommer un arbitre externe pour statuer sur le sujet19.
Entrée en vigueur du Projet de loi C-58
Le Projet de loi entrera en vigueur dans les douze (12) mois de la date de sa sanction. Les nouvelles mesures s’appliqueront alors à toute grève ou à tout lock-out en cours à cette date20.
Conclusion
Les nouvelles dispositions s’apparentent à plusieurs égards aux règles anti-briseurs de grève prévues au Code du travail21 applicable au Québec. Toutefois, il est important de souligner que les règles en vigueur au Québec sont intrinsèquement liées à la notion d’« établissement », ce qui les différencie clairement des mesures proposées par le Projet de loi, lesquelles ne font aucune référence à cette notion. En effet, le Projet de loi interdit plutôt le recours aux travailleurs de remplacement « pour l’exécution de la totalité ou d’une partie des tâches d’un employé de l’unité de négociation »22.
En terminant, les nouvelles mesures introduites par le Projet de loi C-58 sont susceptibles d’influencer considérablement l’équilibre des pouvoirs entre les syndicats et les employeurs de juridiction fédérale. Compte tenu des pénalités onéreuses auxquels les employeurs pourraient faire face, la prudence est de mise et il est crucial d’assurer la conformité aux nouvelles dispositions.
Notre équipe de droit du travail et de l’emploi demeure disponible pour toute question – nous vous invitons à communiquer avec nous.
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[1] Projet de loi C-58 : la Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.
[2] Les industries de juridiction fédérale sont notamment certains services de transport (le transport aérien, aéronautique, ferroviaire, interprovincial ou international), les banques, les entreprises de communication (radiodiffusion, télédiffusion, câblodistribution, services Internet, services téléphoniques), le service postal, etc.
[3] LRC 1985, c L-2.
[4] Supra note 1, art 9(2) modifiant l’article 94(4) a) du Code canadien.
[5] Ibid, art 9(2) modifiant l’article 94(4) b) du Code canadien.
[6] Ibid, art 9(2) modifiant l’article 94(4) du Code canadien.
[7] Ibid, art 9(2) modifiant l’article 94(4) du Code canadien.
[8] Ibid, art 9(2) modifiant l’article 94(5) du Code canadien.
[9] Ibid, art 9(2) modifiant l’article 94(7) a) i) à iii) du Code canadien.
[10] Supra note 2, art 9(2) modifiant l’article 94(7) b) c) du Code canadien.
[11] Supra note 2, art 12.
[12] Supra note 3, art 87.4(1).
[13] Supra note 2, art 6(1) modifiant l’article 87.4(2)―(5) du Code canadien.
[14] Ibid, art 6(1) modifiant l’article 87.4(2) du Code canadien. Le Code canadien ne prévoit pas une telle obligation actuellement. L’une ou l’autre des parties doit plutôt envoyer à l’autre une liste de services qui doivent être maintenus selon elle dans un délai de 15 jours suivant l’avis de négociation.
[15] Ibid, art 6(1) modifiant l’article 87.4(2) du Code canadien.
[16] Ibid, art 6(1) modifiant l’article 87.4(2) du Code canadien.
[17] Supra note 2, art 5 modifiant l’article 87.2 du Code canadien.
[18] Supra note 2, art 6(3) modifiant l’article 87.4(6.1) du Code canadien.
[19] Supra note 2, art 1 modifiant l’article 12.001(1) du Code canadien.
[20] Supra note 2, art 18.
[21] RLRQ, c C-27.
[22] Supra note 2, art 9(2) modifiant l’article 94 (4) a) du Code canadien.