Voici les principales modifications proposées par le Projet de loi n°101 : Loi visant l’amélioration de certaines lois du travail.
Le 24 avril 2025, le Projet de loi n°101 Loi visant l’amélioration de certaines lois du travail[1] a été présenté à l’Assemblée nationale du Québec. Ce dernier a plusieurs objectifs, notamment en matière de délais dans des contextes d’arbitrage, de modes alternatifs de règlement des différends, de transparence dans le monde du travail, de protection des revenus des travailleurs et de pénalités en cas d’infractions. Cet article vise donc à mettre en lumière les principales modifications proposées. Mentionnons qu’à la date de parution de cet article, le Projet de loi n’a pas encore franchi les étapes du processus législatif subséquentes à son adoption de principe. Il demeure ainsi sujet à des amendements en cours d’étude et la version sanctionnée, si cette étape est franchie, pourrait comporter des mesures qui diffèrent de ce qui est ici présenté.
1. Mise en place d’un processus de négociation offert par la CNESST à la suite d’une demande de révision administrative
Le Projet de loi propose l’ajout d’un processus de négociation offert par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») à la suite d’une demande de révision administrative dans les dossiers d’accidents de travail et maladies professionnelles. Une partie qui se croit lésée par une décision de la CNESST pourrait donc faire une demande pour soumettre le litige à un processus de négociation. Si l’autre partie y consent, peut alors y être soumis tout élément faisant l’objet de la demande de révision ou tout élément qui y est intimement lié s’il est probable qu’un différend en découle et qu’un tel règlement soit de nature à permettre d’en arriver à une entente. Il est également possible de soumettre tout élément faisant l’objet d’un différend dans le dossier que possède la CNESST au sujet de la lésion professionnelle en question[2].
Cette possibilité serait offerte pour les types de demandes suivantes :
- Le droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu;
- Le droit à une des indemnités suivantes liées à ses vêtements ou à ses orthèses ou prothèses abîmées lors d’un accident de travail;
- Le droit à un service de santé visé au Chapitre V – Assistance médicale;
- Le droit à une indemnité liée à des frais liés à une procédure d’évaluation médicale;
- La capacité du travailleur à exercer son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable;
- La détermination de l’emploi convenable du travailleur;
- Tout autre sujet prévu par règlement.
Si une entente survient, cette dernière doit être écrite. Elle lie les parties et met fin au litige, ce qui signifie qu’elle ne peut faire l’objet d’une demande de révision ou d’une contestation devant le Tribunal.
Dans l’éventualité où aucune entente ne survient ou qu’elle ne permet pas de régler la totalité de la demande de révision, la CNESST dispose alors des pouvoirs de révision prévus actuellement dans la Loi.
Notons que ce processus demeure volontaire et que tout ce qui est dit ou écrit dans ce cadre demeure confidentiel[3].
2. Révision de certaines règles en matière d’arbitrage de grief
Le Projet de loi prévoit que dans le cadre d’un grief déposé en vertu du Code du travail (ci-après « Code »), un arbitre doit être désigné dans les six (6) mois du dépôt du grief. À l’expiration de ce délai, dans l’éventualité où aucun arbitre n’a été désigné, la partie qui l’a déposé dispose de 10 jours pour demander au ministre de procéder à la nomination, sans quoi elle sera réputée s’être désistée de ce grief[4]. Une telle règle aurait le bénéfice d’éviter que des parties ne laissent « traîner » des griefs sans les référer à l’arbitrage avant plusieurs mois ou même plusieurs années. Cependant, cela pourrait occasionner des frais additionnels aux parties forcées de procéder à la nomination d’un arbitre, alors que dans les faits, un grief a été déposé uniquement afin de protéger des droits (par exemple, un grief contestant une mesure disciplinaire qui sera finalement retiré à l’expiration d’une période prévue à une clause d’amnistie).
De même, le Projet de loi indique que l’audition du grief doit débuter au plus tard un an après le dépôt du grief. Ce délai ne pourrait être prolongé qu’une seule fois, pour un nombre de jours précis, à la demande des parties et avec le consentement de l’arbitre[5]. Une telle mesure pourrait requérir des changements importants dans la pratique, alors que les parties, leurs procureur(e)s et les arbitres devraient s’assurer de faire une gestion plus serrée des délais pour débuter l’audience.
Soulignons que les parties devraient également dorénavant considérer le recours à la médiation pour tenter de régler le grief avant de recourir à l’arbitrage[6]. L’arbitre pourrait également tenir d’office une conférence préparatoire à l’audition du grief[7].
Finalement, la divulgation de la preuve deviendrait obligatoire en matière d’arbitrage de griefs. En effet, la partie qui entend produire une pièce ou un élément de preuve à l’audition devrait en communiquer une copie aux autres parties et à l’arbitre[8]. Notons que le Projet de loi ne prévoit aucune exception à cette règle; laquelle serait donc a priori applicable à l’ensemble des éléments de preuve si aucun amendement n’est apporté à l’article. Le Projet de loi prévoit toutefois la possibilité que l’arbitre autorise le dépôt d’une preuve qui n’aurait pas été divulguée à l’avance si cela est dans l’intérêt d’une saine administration de la justice. Si le Projet de loi était adopté tel quel, on peut penser que des arbitres accepteraient le dépôt d’une preuve qui n’a pas été divulgué au préalable, si une telle preuve vise à tester la crédibilité d’un témoin.
Ce Projet de loi semble donc prévoir différents mécanismes qui cherchent à prioriser la célérité et les mécanismes alternatifs de règlement des différends. Ces changements seraient cependant applicables uniquement aux griefs qui seraient déposés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, c’est-à-dire à la date de sa sanction[9].
3. Présentation des états financiers des associations syndicales à une assemblée générale des membres
Les associations syndicales auraient maintenant l’obligation de présenter chaque année à leurs membres, lors d’une assemblée générale, leurs états financiers vérifiés selon les principes comptables généralement reconnus. Des copies devraient également être remises gratuitement aux membres qui en font la demande[10].
4. Possibilité de s’absenter pour des raisons de santé publique ou de sinistre
Il serait maintenant autorisé pour une personne salariée de s’absenter du travail si elle n’est pas en mesure de fournir sa prestation de travail pour des raisons de santé publique ou en raison d’un sinistre ou de son imminence au sens de la Loi sur la sécurité civile visant à favoriser la résilience aux sinistres (ch. S-2.4)[11].
Cette absence serait cependant sans salaire et il sera du devoir de la personne salariée d’en aviser son employeur le plus tôt possible et de prendre les moyens raisonnables à sa disposition pour en limiter la durée[12].
Notons que l’employeur, si les circonstances le justifient, notamment au regard de la durée de l’absence, sera en droit de demander à la personne salariée de fournir des documents qui justifient les motifs de cette absence[13].
5. Droit de l’employeur de réclamer une partie du salaire d’une travailleuse enceinte ou qui allaite affectée à d’autres tâches
Le Projet de loi prévoit également qu’un employeur peut réclamer à la CNESST une somme correspondant à la différence entre le revenu brut que la travailleuse tire de son emploi régulier pendant l’affectation et le revenu brut que lui auraient procuré ces nouvelles tâches auxquelles elle a été affectée[14].
Cette réclamation doit être faite par l’entremise d’un formulaire rempli par l’employeur transmis à la CNESST dans l’année qui suit la fin de l’affectation de la travailleuse[15].
Cette demande serait recevable sous certaines conditions cumulatives :
- La travailleuse a été affectée par cet employeur à des tâches effectuées à temps partiel ou à des tâches dont le revenu brut est inférieur à celui que lui procure son emploi régulier;
- La travailleuse visée par l’affectation a bénéficié de tous les avantages liés à l’emploi qu’elle occupait avant son affectation à d’autres tâches;
- Le revenu brut qu’auraient procuré à la travailleuse les tâches auxquelles elle a été affectée est inférieur au revenu déterminé à partir du maximum annuel assurable[16].
6. Augmentation des montants des clauses pénales
Les montants de certaines clauses pénales seraient également augmentés dans le cadre de la LATMP, du Code et de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT »).
Dans la LATMP sont visées certaines amendes afin qu’elles soient plus sévères lorsque l’infraction a trait à la confidentialité du dossier d’un travailleur dont la lésion professionnelle résulte de la violence physique ou psychologique qu’il a subie, incluant la violence à caractère sexuel[17].
Dans le Code, sont visées notamment certaines amendes portant sur l’obligation de négocier les modalités d’une convention collective de bonne foi, sur la provocation de grève ou de lock-out illégaux ou sur le fait de nuire à un processus de syndicalisation[18]. À cet égard, les amendes par jour de violation des dispositions anti-briseurs de grève passeraient :
- de 25 $ à 100 $ à 500 $ à 2 500 $ s’il s’agit d’un salarié;
- de 1 000 $ à 10 000 $ à 5 000 $ à 50 000 $ s’il s’agit d’un dirigeant ou d’un employé d’une association de salariés ou d’un administrateur, agent ou conseiller d’une association de salariés ou d’un employeur;
- de 5 000 $ à 50 000 $ à 10 000 $ à 100 000 $ s’il s’agit d’un employeur, d’une association de salariés ou d’une union, fédération ou confédération à laquelle est affiliée ou appartient une association de salariés.
Est également ajoutée à cette section du Code l’infraction de faire entrave ou faire obstacle à l’action d’un inspecteur enquêtant sur la présence de briseurs de grève[19]. Il est important de mentionner également que le Projet de loi prévoit que les montants minimal et maximal des amendes prévues à cette loi seront portés au double pour une première récidive et au triple pour toute récidive additionnelle[20].
Finalement, en ce qui concerne la LNT, sont augmentés notamment les montants des amendes imposées lorsqu’une personne entrave l’action de la CNESST ou ceux liés aux infractions en lien avec le harcèlement psychologique, avec le travail des enfants ou avec le placement de personnel et les travailleurs étrangers temporaires[21]. Tout comme dans le cadre du Code, le Projet de loi tel que présenté comprend également une disposition énonçant que les montants minimal et maximal des amendes prévues à cette loi seront portés au pour une première tentative et au triple pour une récidive additionnelle[22].
7. Droits d’accès au dossier de la division de la santé et de la sécurité
La protection des renseignements personnels serait également assurée en ce qui a trait au contenu du dossier de la division de la santé et de la sécurité du Tribunal administratif du travail. En effet, seule une personne autorisée par ce Tribunal aurait accès à son contenu si ce dernier comprend des renseignements relatifs à la santé physique ou mentale d’une personne ou des renseignements que le Tribunal estime comme étant confidentiels et dont la divulgation serait de nature à porter préjudice à une personne[23].
8. Entrée en vigueur du Projet de loi
Sauf certaines exceptions, les dispositions du Projet de loi entreraient en vigueur à la date de la sanction de la Loi[24].
9. Conclusion
En outre des éléments présentés précédemment, soulignons que d’autres modifications sont également comprises par rapport à d’autres sujets tels que l’application de règles particulières en matière de prévention et de participation aux établissements des secteurs de l’éducation et de la santé et des services sociaux[25] ou concernant l’exigence de détenir la citoyenneté canadienne pour les personnes qui font partie d’un conseil d’administration en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels[26].
Nous portons à votre attention également qu’il est prévu qu’un dirigeant soit considéré comme un travailleur au sens de la LATMP lorsqu’il exécute personnellement un travail pour une autre personne que celle pour laquelle il occupe son rôle de dirigeant[27]. Une telle mesure viserait spécifiquement certains travailleurs autonomes qui sont actuellement incorporés et qui ne sont pas assujettis à la LATMP pour ce motif, un changement qui pourrait avoir un impact majeur dans plusieurs industries.
En somme, ce Projet de loi omnibus semble avoir plusieurs objectifs. Alors que le monde du travail est en constante mouvance, la mouture actuelle du Projet de loi annonce la volonté du gouvernement de mettre en place de nombreux changements dans différentes composantes du corpus législatif québécois en matière de droit du travail et de l’emploi.
Puisque le Projet de loi prévoit que la majorité des dispositions entreront en vigueur dès sa sanction, il sera crucial de s’assurer de prendre connaissance des nouvelles dispositions s’il se rend à cette étape.
Notre équipe de droit du travail et de l’emploi se fera un devoir de suivre de près le cheminement de ce Projet de loi.
Vous pouvez communiquer avec nous pour toute question.
[1] Projet de loi n°101 : la Loi visant l’amélioration de certaines lois du travail.
[2] Id., art. 6, instaurant l’article 358.6 de la LATMP.
[3] Projet de loi n°101, préc., note 1, art. 6 instaurant l’article 358.8 de la LATMP.
[4] Id., art. 16 instaurant l’article 100.0.0.0.1 du Code.
[5] Id.
[6] Id., art. 16 instaurant l’article 100.0.1.1 du Code.
[7] Id., art. 19.
[8] Projet de loi n°101, préc., note 1, art. 20.
[9] Id., art. 70.
[10] Id., art. 14 et 45.
[11] Id., art. 40.
[12] Id.
[13] Projet de loi n°101, préc., note 1.
[14] Id., art. 46 instaurant l’article 48.0.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après « LSST »).
[15] Id., art. 46 instaurant les articles 48.0.1 et 48.0.2 de la LSST.
[16] Id., art. 46 instaurant l’article 48.0.2 de la LSST.
[17] Id., art. 13 instaurant l’article 458.1 de la LATMP.
[18] Projet de loi n°101, préc., note 1, art. 23, 24 et 27.
[19] Id., art. 26.
[20] Id., art. 32 instaurant l’article 149 du Code.
[21] Id., art. 42.
[22] Id., art. 44 instaurant l’article 141.2 du Code.
[23] Id., art. 62 instaurant l’article 13.1 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail.
[24] Projet de loi n°101, préc., note 1, art. 75.
[25] Id., art. 54.
[26] Id., art. 55-58.
[27] Id., art. 1.