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Synthèse : Clauses d’exclusivité dans les baux commerciaux et la Loi sur la concurrence
Publication Droit immobilier

Synthèse : Clauses d’exclusivité dans les baux commerciaux et la Loi sur la concurrence

Mise en contexte 

Le projet de loi C59, déposé dans le cadre de l’énoncé économique de l’automne 2023, a été adopté le 20 juin 2024 et a introduit des modifications substantielles à la Loi sur la concurrence, dont plusieurs dispositions sont entrées en vigueur le 20 juin 2025. Ces changements s’inscrivent dans une série de réformes amorcées depuis 2022, visant à moderniser l’encadrement des pratiques commerciales au Canada.

Synthèse 

Depuis 2022, la Loi sur la concurrence (L.C.) a fait l’objet de trois vagues successives de réformes majeures. La plus récente a été adoptée le 20 juin 2024, avec certaines dispositions déjà en vigueur, tandis que d’autres ont été mises en œuvre plus récemment, soit le 20 juin 2025. Ces réformes visent à moderniser l’encadrement des pratiques commerciales, à permettre une intervention plus large du Bureau de la concurrence (le «  Bureau  »), et ciblent certaines formes de restrictions contractuelles, notamment les clauses d’exclusivité dans les baux commerciaux et les clauses de restrictions d’usage.

L’encadrement accentué aux pratiques commerciales est une réponse du gouvernement fédéral canadien à la crise du coût de la vie au Canada dans l'ère post-Covid, surtout dans le secteur alimentaire.

Les nouvelles règles s’appliquent à tous les accords commerciaux conclus depuis le 15 décembre 2024, même entre non-concurrents, et toute personne peut demander des dédommagements pour abus de position dominante et collaboration entre concurrents depuis le 20 juin 2025.

Le Bureau publie le 7 août 2024, un test intitulé « Competitor Property Controls and the Competition Act», qui constitue désormais la référence principale en matière d’évaluation de ces clauses.

Le Bureau y propose une grille d’analyse en quatre critères, destinée à évaluer la légitimité et la portée d’une clause d’exclusivité ou de restriction d’usage dans un bail commercial. Plus précisément, il faut examiner : 

  • si la clause est nécessaire à l’entrée sur le marché ou à l’investissement du locataire ;
  • si sa durée pourrait être raccourcie ;
  • si elle pourrait viser un nombre plus restreint de produits ou services ;
  • si son champ d’application géographique pourrait être limité.

À cela s’ajoute un cinquième critère d’ordre pratique, les parties doivent aussi se demander s’il existe un autre locataire approprié n’exigeant pas une clause d’exclusivité, ou se satisfaisant d’une clause moins restrictive.

L’approche générale du Bureau est claire : ces clauses sont généralement perçues comme problématiques, à moins qu’elles ne soient strictement justifiées et nécessaires pour permettre l’implantation d’un commerce ou la réalisation d’un investissement. Le Bureau précise d’ailleurs que les protections contractuelles fondées sur l’exclusivité ne peuvent être justifiées que dans des circonstances limitées et exceptionnelles.  

Un exemple concret d’application de cette grille d’analyse est fourni par le cas Sobeys / Empire Company Ltd.à Crowsnest Pass, Alberta, communiqué en janvier 2025 par le Bureau de la concurrence. Dans cette affaire, l’IGA local bénéficiait depuis 2017 d’une clause restrictive interdisant l’ouverture de toute épicerie concurrente à Crowsnest Pass en Alberta. Il s’agissait du seul supermarché en activité dans cette municipalité. Le Bureau a estimé que cette clause prolongeait artificiellement une situation de monopole, et a obtenu son retrait.

Toutefois, le Bureau précise que le simple caractère « injustifié » d’une clause ne suffit pas à conclure à une infraction. Il faut également démontrer soit une intention anticoncurrentielle, soit un effet substantiel de réduction de la concurrence. Ainsi, le fardeau de preuve impose une démonstration rigoureuse.

En cas d’infraction, les sanctions peuvent être significatives. Les réformes ont introduit des sanctions administratives pécuniaires pouvant aller jusqu’à 10 millions de dollars pour une première infraction, et jusqu'à 15 000 000 $ pour chaque récidive ou trois fois la valeur du bénéfice tiré de la pratique anticoncurrentielle.

Par ailleurs, la notion de marché pertinent peut être très localisée : un détaillant locataire peut exercer un pouvoir de marché et une influence significative. Il n'est pas nécessaire que le locataire ait un pouvoir de marché au niveau national ou provincial pour répondre à cette exigence, s’il exerce un contrôle significatif sur l’offre dans un marché quelconque.

Il convient aussi de rappeler que, au-delà de la Loi sur la concurrence, le droit civil québécois impose un devoir d’information et de bonne foi en matière contractuelle. La jurisprudence récente dont dans l’affaire N9ne Realty inc. c. First Capital, 2024 QCCA 1274, démontre qu’un défaut de divulgation d’une clause restrictive à un acquéreur potentiel ou aux locataires peut fonder une action en responsabilité civile, indépendamment du droit de la concurrence.

Conclusion 

Les modifications apportées à la Loi sur la concurrence transforment profondément l’analyse juridique des clauses d’exclusivité et de restriction d’usage dans les baux commerciaux. Le test à quatre volets publiés par le Bureau en août 2024 constitue désormais l’outil de référence pour évaluer leur validité. Toute entreprise ou propriétaire impliqué dans la négociation ou la gestion de baux commerciaux doit vérifier la nécessité, la durée, le champ d’application et la portée géographique des clauses restrictives; anticiper les risques juridiques : enquête du Bureau, amendes, perte de clause, recours privés; et respecter les obligations de bonne foi et d’information prévues au Code civil.

L’application concrète de cette réforme soulève encore certaines incertitudes, et plusieurs acteurs du marché semblent privilégier une approche prudente, en attendant de mieux en cerner la portée.

 

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