Résumé

Les auteurs commentent cette décision en matière d’assurance de dommages dans laquelle la Cour d’appel statue que l’inoccupation par le propriétaire constitue une exclusion de risque en application de la notion « propriétaire occupant ».

Introduction

Dans la décision Dang c. Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation inc.1 la Cour d’appel se prononce sur le sens à accorder à la notion de « propriétaire occupant » prévue dans une police d’assurance et examine les distinctions entre l’aggravation de risque et l’exclusion de risque. 

La Cour devait par ailleurs déterminer si le fait de ne plus habiter une résidence dont la police couvrait les risques en tant que « propriétaire occupant » de la résidence constitue une aggravation du risque ou une exclusion du risque. 

La Cour, dont l’analyse se base notamment sur les enseignements de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Lejeune c. Cumis Insurance Society Inc.2, retient que cette situation constitue une exclusion du risque, puisque l’assureur avait l’intention d’assurer une résidence que le propriétaire habitait.

1- Les faits

Le litige tire son origine d’un incendie ayant détruit la résidence de l’appelante Thuy Diem Dang (ci-après « Dang ») le 26 mai 2018. Dang détenait depuis plusieurs années une police d’assurance auprès de l’intimée Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation inc. (ci-après « Industrielle Alliance »). Ladite police a été émise initialement en 2012 et renouvelée par la suite.

Le contrat d’assurance contenait une disposition se lisant comme suit :

OBJET DU CONTRAT – Par ce contrat et moyennant le paiement de la prime, nous vous couvrons contre les risques spécifiés ci-après et auxquels vous êtes généralement exposé en tant que propriétaire occupant de votre habitation.

(Nos soulignements)

Suite à l’incendie, Dang présente une réclamation à Industrielle Alliance. Cette dernière nie couverture à Dang et l’informe de sa décision d’invoquer la nullité de sa police. En effet, Dang n’occupe plus sa résidence depuis février 2016, allant ainsi à l’encontre de la disposition de sa police mentionnée ci-haut, et n’a jamais dénoncé ce changement à Industrielle Alliance. Ce sont les membres de la famille de Dang qui occupent présentement la résidence. Dang dépose donc une demande introductive d’instance devant la Cour supérieure afin d’obtenir l’indemnité d’assurance ainsi que des dommages et intérêts.

En première instance, la Cour supérieure rejette le recours de Dang, ordonne à Industrielle Alliance de rembourser les primes pour une somme de 2 146,21 $ et déclare nulle la police d’assurance de Dang3.

2- La décision

La Cour d’appel, dans un arrêt unanime, rejette l’appel et confirme la décision de première instance4.

La Cour se penche sur trois moyens d’appel distincts de l’assurée.

Dans le premier moyen d’appel, Dang tente de faire valoir que sa police est ambiguë et que la notion de « propriétaire occupant » signifie « une personne qui exerce, par soi-même ou par l’intermédiaire d’une autre personne, un droit réel sur un bien ou un local sans détenir de bail ou d’engagement de location »5.

Ce moyen est rejeté6. La Cour mentionne que le contrat ne contient aucune ambiguïté7. Le sens des mots « propriétaire occupant » doit être interprété dans leur sens courant, conformément à l’arrêt Sabean c. Portage La Prairie Mutual Insurance Co., soit comme un propriétaire qui occupe la résidence8.

Quant au deuxième moyen d’appel, qui nous intéresse plus particulièrement, la Cour d’appel effectue la distinction entre les notions d’exclusion du risque (ou l’exclusion de couverture) et l’aggravation du risque.

La Cour mentionne qu’en situation d’exclusion du risque, c’est l’absence d’indemnité totale qui constitue la sanction ; la réduction proportionnelle n’étant pas une possibilité9. L’exclusion de risque se distingue de l’aggravation du risque en ce que l’assureur n’a jamais eu l’intention de couvrir le risque. Dans un cas d’aggravation du risque, ce dernier reste couvert, mais il est aggravé10.

Afin de déterminer s’il s’agit d’un cas d’exclusion du risque, il est nécessaire de se demander, suite à une étude de la police, quelle était l’intention de l’assureur quant au risque, comme le prévoit l’arrêt Lejeune11.

La Cour conclut que le juge de première instance a déterminé qu’il s’agit d’une exclusion du risque et que son analyse est juste12. En effet, Industrielle Alliance avait l’intention d’assurer une résidence habitée13 et a fait la démonstration qu’elle aurait annulé le contrat si elle avait été mise au fait de l’inoccupation14. L’inoccupation de Dang a transformé le risque couvert en couverture d’une résidence secondaire ou d’une maison unifamiliale louée15.

Quant au troisième moyen d’appel, portant sur la conclusion du juge de première instance que Dang n’avait pas l’intention de revenir au Québec, la Cour d’appel le rejette, jugeant que Dang n’a pas relevé son fardeau de soulever une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation des faits par le juge de première instance16.

3- Le commentaire des auteurs

Cette affaire offre une illustration d’une confusion fréquente lorsque vient le temps de traiter et d’appliquer le mécanisme de l’article 2466 C.c.Q. en matière d’aggravation des risques en cours de contrat, lequel implique nécessairement une résiliation rétroactive et non la nullité du contrat.

À preuve, la décision de première instance dans l’arrêt Lejeune disposait que le contrat d’assurance doit être « annulé » à compter de la date du changement dans le risque17. À notre avis, il aurait dû être question de résiliation rétroactive plutôt que de nullité, ce qui est d’ailleurs cohérent avec la conclusion quant aux primes d’assurance rendue par le juge18.

Dans la décision commentée, la Cour d’appel a abordé le concept d’aggravation du risque vu les prétentions de l’appelante que le juge de première instance aurait erré en appliquant simultanément l’aggravation de risque et l’exclusion de couverture19.

Or, à notre avis, et tel que semblait le prétendre Industrielle Alliance20, la présente affaire n’en est pas une où le concept d’aggravation du risque au sens de l’article 2466 C.c.Q. devait être examinée puisque le changement en regard de l’occupation de la résidence n’est pas survenu en cours de contrat. En effet, ce « changement au risque » est survenu avant le dernier renouvellement ayant précédé le sinistre21. Par conséquent, c’est la nullité qui était demandée au tribunal, par opposition à la résiliation rétroactive en matière d’aggravation du risque en cours de contrat.

La Cour supérieure nuançait d’ailleurs les notions de nullité et résiliation en ces termes dans une affaire récente :

[145] En l’espèce, résiliation ou nullité du contrat d’assurance conduisent au même résultat, soit le rejet de la réclamation. Cela n’a d’impact qu’au niveau du remboursement des primes. En cas de résiliation, l’Assureur n’a pas droit aux primes après la résiliation. En cas de nullité, il doit rembourser les primes perçues depuis le renouvellement en vertu du principe de la restitution des prestations (art. 1422 C.c.Q.).22

Cette distinction peut paraître relever de la sémantique, mais n’est pas sans conséquence en droit. Traiter de nullité plutôt que de résiliation équivaut à nier l’existence d’un contrat d’assurance durant la période précédant le changement du risque. Le contrat résilié cesse d’exister pour l’avenir seulement23 : le contrat a donc « existé » jusqu’à la survenance de la cause de résiliation (c.-à-d. le changement au risque).

Rappelons-le, le Code civil du Québec édicte le concept de nullité comme sanction des conditions de formation : « le contrat qui n’est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité »24.

La jurisprudence nous enseigne d’ailleurs qu’il y a formation d’un nouveau contrat d’assurance à la souscription initiale du risque ainsi qu’à chaque renouvellement25.

Conclusion

Dans la décision commentée, la Cour d’appel a précisé la notion de « propriétaire occupant » et rappelé les distinctions à faire entre l’aggravation de risque et l’exclusion de risque à la lumière des enseignements de l’arrêt Lejeune.

L’application du concept d’aggravation de risque en cours de terme au sens que l’entend l’article 2466 C.c.Q. suppose nécessairement une conclusion par laquelle le tribunal résilie rétroactivement le contrat d’assurance (et non, l’annule).

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[1] 2022 QCCA 1739, EYB 2022-502838.

[2] [1989] 2 RCS 1048 (ci-après l’arrêt « Lejeune »).

[3] Dang c. Industrielle Alliance Alliance, Assurance auto et habitation inc., 2021 QCCS 1408, par. 84 à 86.

[4] Jugement commenté, par. 37.

[5] Jugement commenté, par. 14.

[6] Jugement commenté, par. 15.

[7] Jugement commenté, par. 16.

[8] Jugement commenté, par. 16, 17 et 18.

[9] Jugement commenté, par. 25.

[10] Jugement commenté, par. 26.

[11] Jugement commenté, par. 27.

[12] Jugement commenté, par. 28 et 29.

[13] Jugement commenté, par. 28.

[14] Jugement commenté, par. 30.

[15] Jugement commenté, par. 31.

[16] Jugement commenté, par. 33, 35 et 36.

[17] Lejeune c. Cumis Insurance Society Inc.,[1985] C.S. 608, p. 12.

[18] À savoir : « DONNE ACTE à la défenderesse de son offre de rembourser au demandeur la partie non gagnée de la prime à compter du 1er juillet 1980 ». Le 1er juillet 1980 correspond à la date du changement de l’utilisation des lieux assurés (aggravation du risque).

[19] Jugement commenté, par. 26 et 27.

[20] Jugement commenté, par. 24.

[21] En l’espèce, l’émission initiale de la police a eu lieu en 2012, le dernier renouvellement le 7 août 2016 et l’incendie le 26 mai 2018.

[22] Lapointe c. Promutuel Coaticook-Sherbrooke, 2019 QCCS 5075.

[23] Art. 1606 C.c.Q.

[24] Art. 1416 C.c.Q.

[25] Promutuel Valmont, société mutuelle d’assurances générales c. Henderson, 2006 QCCA 838, par. 39 ; Pelletier c. Promutuel des riverains, société mutuelle d’assurances générales, 2011 QCCS 6331, par. 23, Lapointe c. Promutuel Coaticook-Sherbrooke, 2019 QCCS 5075, par. 132 et 143. À noter que l’auteur Didier Lluelles diverge sur ce point, en mentionnant que le renouvellement ne constitue pas un nouveau contrat d’assurance, voir Didier LLUELLES, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2017, no 186, p. 139.