Le 11 août dernier, la Cour d'appel du Québec confirmait la culpabilité d'un propriétaire et exploitant de véhicules lourds pour négligence criminelle causant la mort de l'un de ses employés[1]. Cette tragédie découle d'une grave omission quant à l'entretien du véhicule et de ses freins, omission à l'origine du renversement d'un camion dans le virage d'une pente.
Il s'agit d'un rappel poignant de l'importance pour les propriétaires de véhicules lourds et les employeurs d'adopter des mesures proactives pour assurer la sécurité de leurs travailleurs. La négligence en matière de santé et sécurité au travail est de plus en plus sévèrement sanctionnée, comme en atteste cette affaire aux conséquences majeures.
Le jugement de première instance condamne ainsi l'employeur à une amende de 345 000 $, assortie d'une ordonnance probatoire de 3 ans et de plusieurs conditions, incluant l'obligation de retenir les services d'un consultant externe pour évaluer la situation et proposer des correctifs aux risques liés au travail, et ce, annuellement.
Les faits
La victime est décédée au volant d'un camion lourd appartenant à l'employeur lorsque celui-ci s'est renversé dans le virage d'une pente descendante. La preuve révèle que l'entreprise avait gravement omis d'assurer un entretien approprié du véhicule et de son système de freinage, démontrant une insouciance téméraire ou déréglée.
En l'occurrence, la preuve a révélé que le système de freinage du camion présentait un état d'usure avancé, et les problèmes mécaniques étaient connus de l'employeur. La victime avait signalé à plusieurs reprises ces problèmes au président de l'entreprise et au contremaître mécanicien responsable du garage.
La décision
La Cour souligne que l'employeur avait l'obligation légale de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé, la sécurité, et l'intégrité physique et psychique de ses travailleurs, conformément à la Loi sur la santé et la sécurité du travail. De plus, selon le Code de la sécurité routière, tout propriétaire doit maintenir ses véhicules lourds en bon état mécanique et respecter les normes d'entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies. Des défectuosités majeures et préexistantes ont été constatées sur les freins du véhicule, résultant de manquements importants lors des entretiens effectués sur le camion. L’état du camion avait été rapporté à l'entreprise à plusieurs reprises par le camionneur décédé et d'autres collègues.
Le Code criminel stipule que la responsabilité pénale et criminelle d'une entreprise peut être engagée par ses agents ou ses cadres. Dans cette affaire, le contremaître-mécanicien responsable du garage était considéré comme un « cadre supérieur » par la Cour. Sa négligence dans l'entretien du véhicule et de ses freins a ainsi été imputée à l'entreprise.
Dans un secteur d'activité aussi réglementé que le camionnage, le propriétaire exploitant doit s'assurer de veiller à l'entretien de ses véhicules, adoptant une approche proactive, comme le ferait toute personne raisonnable exerçant dans la même sphère d'activité et dans les mêmes circonstances. Plusieurs facteurs, tels que l'historique des incidents en lien avec le véhicule, les ressources déployées, et les moyens mis en œuvre pour résoudre les problématiques, peuvent influencer la responsabilité de l'entreprise.
Conclusion
Ce jugement rappelle aux propriétaires exploitants de véhicules lourds et aux employeurs l'impératif de prendre tous les moyens nécessaires, et ce, en temps opportun, pour assurer la santé, la sécurité, et l'intégrité physique et psychique de leurs travailleurs. La négligence ou l'insouciance peut mener à de graves accusations criminelles, en plus des pénalités dont un employeur peut faire l'objet en vertu du cadre réglementaire. Il est donc plus que jamais essentiel d'adopter une approche proactive en matière de prévention des risques liés à la santé et à la sécurité de vos travailleurs.
[1] CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032.
Cette publication a été présentée dans le Transport Magazine.