Le transport routier étant mobile de par sa nature la plus profonde, il ne saurait être limité aux seules frontières du Québec. Dans ce contexte, il est donc tout à fait naturel que le législateur ait prévu, dans le cadre de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, que la Société de l'assurance automobile du Québec (ci-après « SAAQ ») doive prendre en considération certains événements survenus sur le territoire des autres administrations canadiennes afin d'identifier les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (ci-après « PECVL ») qui représentent un risque sur le plan de la sécurité routière et de la protection du réseau routier.
Ce qui est moins naturel en revanche, c'est sa manière de procéder.
La Politique d’évaluation du comportement des propriétaires et des exploitants de véhicules lourds nous explique comment la SAAQ s’y prend :
« 5.1.3.5 Événements survenus sur le territoire des autres administrations canadiennes
Les événements (infractions, accidents, défectuosités mécaniques majeures, mises hors service « conducteur ») survenus sur le territoire des autres administrations canadiennes concernant un véhicule lourd immatriculé au Québec sont inscrits tels que transmis par celles-ci et constatés par les agents de la paix de ces administrations dans le dossier du PEVL. De plus, ces événements sont pris en considération dans l’évaluation de son comportement selon les dispositions de la Politique.
Un PEVL qui désire faire apporter des corrections à un constat d’infraction, à un rapport d’accident, à un certificat (rapport) de vérification mécanique ou à tout autre document délivré par une autre administration canadienne que le Québec doit en faire la demande à l’administration concernée.
Un tableau à l’annexe 3 présente les codes d’équivalence établis par le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé (CCATM) pour les infractions ainsi que la pondération associée à celles-ci au Québec.
Il faut donc en comprendre que la SAAQ se refuse à analyser chaque événement survenu sur le territoire d’une autre administration sous la loupe de la législation québécoise, mais qu’elle se fait une joie de les pondérer au dossier d’un PECVL. Par exemple, une défectuosité qui n’entraînerait pas une mise hors service au Québec, sera pourtant pondérée comme telle si elle survient en Alberta et que, selon la réglementation albertaine, cette même défectuosité correspond à une mise hors service.
Pour ce qui est des infractions commises dans les autres administrations canadiennes, les choses se compliquent et le procédé devient opaque. Je m’explique.
Grossièrement, afin de déterminer que l’infraction A au Manitoba équivaut à l’infraction B au Québec et donc qu’une pondération de x nombres de points est applicable au dossier du PECVL, la SAAQ dispose et applique une table d’équivalence émanant du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé (ci-après « CCATM »), dont elle fait partie.
Dans les faits, chaque province canadienne associe ses infractions à une description auxquelles est rattaché un code générique. Par exemple, un « excès de 31 à 40 km/h par rapport à la vitesse permise » correspond au code 8. Chaque province ayant identifié à quel article de loi correspond cet excès de vitesse (code 8), il est aisé de faire la corrélation entre l’infraction commise dans une autre administration canadienne et l’infraction correspondante sur son propre territoire.
Dès lors, en recevant simplement ce code, la SAAQ est en mesure de pondérer l’infraction comme si elle était survenue au Québec. D’ailleurs, suivant une condamnation à une infraction dans une autre province, l’événement apparaîtra au dossier PEVL avec le code d’équivalence.
Bien que la SAAQ fournisse désormais la liste des codes CCATM avec leur description et leur pondération au Québec, dans la mesure où nous ne disposons pas du reste de la table de concordance, permettant de faire le lien entre, par exemple, l’infraction A au Manitoba et le code 8 du CCATM, nous sommes dans l’impossibilité de faire nous-mêmes l’exercice de corrélation. C’est là où le bât blesse puisque pour un PECVL, la motivation de plaider non-coupable à un constat d’infraction découle bien plus de l’impact de cet événement à son dossier que du montant de l’amende ou encore, pour un CVL, du nombre de points d’inaptitude y étant rattaché. Mes collègues et moi-même sommes donc souvent sollicités par nos clients afin de déterminer si une infraction commise dans une autre administration canadienne entraînera des répercussions à leur dossier.
Or, nous sommes actuellement dans l’impossibilité de conseiller avec 100 % d’exactitude quel en sera l’impact, puisque la SAAQ et le CCATM se refusent à nous communiquer une bête table de concordance.
La SAAQ est soit inconsciente du paradoxe qu’elle impose, soit particulièrement cynique lorsqu’elle clame qu’« il est de la responsabilité des PEVL de vérifier leur état de dossier périodiquement pour s’informer des événements qui y sont inscrits et de demander une régularisation de leur dossier, le cas échéant ».
Comment peut-on sérieusement imposer à un administré l’obligation de déterminer soi-même si l’entité qui le pénalise a commis une erreur, sans lui donner les outils nécessaires pour ce faire?
Seule la SAAQ a réponse à cette question. Espérons seulement qu’un jour elle saura se la poser.
Cette publication a été présentée dans le Transport Magazine.
