Un jugement assez récent de la Cour du Québec (Bachand c. Mural, 2025 QCCQ 3060) met en lumière un risque auquel les constructeurs, promoteurs et gestionnaires immobiliers ne pensent pas toujours : l’effet du droit d’auteur – et plus spécifiquement des droits moraux – sur les projets de construction.
Que s'est-il passé ?
En 2018, l’artiste Simon Bachand, connu sous le nom de Stare, a peint une murale de cinq étages sur un immeuble du Plateau Mont-Royal dans le cadre d’un festival d’art public. L’OBNL « Mural » avait obtenu la permission du propriétaire de l’époque d’utiliser son mur, et un contrat comportant une clause de confidentialité prévoyait un engagement de ne pas altérer la murale pendant une période d’un an. Dans le processus menant à la formation du contrat entre Mural et l’artiste, ce dernier n’a jamais été informé de cette limite de protection dans le contrat entre Mural et le propriétaire de l’immeuble. En 2024, un édifice de trois étages est construit dans le stationnement se trouvant devant le mur sur lequel la murale a été réalisée, rendant visible la partie supérieure seulement, à une certaine distance. L’artiste a poursuivi à la fois l’organisme Mural et le nouveau propriétaire de l’immeuble (Immobilier Yuliv Inc.) pour violation de ses droits moraux.
Quelle fut la décision de la Cour ?
Toute déformation, mutilation ou autre modification d’une peinture, d’une sculpture ou d’une gravure étant réputée préjudiciable à l’honneur ou à la réputation d’un auteur, la Cour a confirmé une violation du droit de l’auteur à l’intégrité de l’œuvre. Cependant, le propriétaire de l’immeuble n’a pas été tenu responsable, puisque les termes du contrat entre Mural et l’ancien propriétaire avaient été respectés. L’organisme Mural, de son côté, a été condamné à verser 2 500 $ à l’artiste, car il n’avait pas informé ce dernier des limites négociées avec le propriétaire. En clair : l’artiste a eu gain de cause, mais c’est l’intermédiaire (Mural) qui a dû assumer le montant accordé en réparation du préjudice.
En quoi est-ce important pour le secteur immobilier ?
Cette affaire rappelle que les droits moraux sur des œuvres devenues indissociables d’un immeuble peuvent devenir des contraintes importantes dans l’exploitation et le développement futur de la propriété ou des terrains adjacents. Dans le cas présent, le recours est postérieur à l’atteinte, mais on pourrait aussi imaginer un cas où un artiste, ayant connaissance de l’imminence d’une atteinte, pourrait chercher à l’empêcher par injonction, ce qui aurait un effet paralysant sur un projet et affecter sa valeur, sans compter les contrecoups médiatiques potentiels d’une publicisation d’une telle situation. De plus, même en prenant certaines précautions, un propriétaire d’immeuble pourrait se trouver insuffisamment protégé advenant que la partie cocontractante ne soit pas l’auteur lui-même, mais plutôt un intermédiaire.
Ce qu’il faut retenir pour les projets jumelant arts et immeubles
- Transparence avec les artistes : si l’œuvre est appelée à disparaitre ou à être masquée à moyen ou long terme, cela devrait être communiqué clairement dès le départ.
- Renonciations aux droits moraux : une clause de renonciation (négociée avec l’auteur et acceptée) est une meilleure façon d’éviter de s’exposer à des réclamations fondées sur une atteinte aux droits moraux.
- Anticipation du risque dans les contrats : inclure une œuvre d’art publique sur un immeuble peut ajouter de la valeur au projet, mais il faut aussi prévoir ce qui arrivera lorsque l’immeuble ou son environnement sera transformé.
- La durée de vie « naturelle » d’un exemplaire d’une œuvre n’est pas une mesure de temps appropriée : même si une murale est exposée aux intempéries et pourrait finir par se détériorer d’elle-même, en affecter l’intégrité par un projet immobilier est un geste différent qui peut donner lieu à des dommages.
Il n’est pas rare que les œuvres artistiques et le développement immobilier « cohabitent », mais cette proximité comporte des exigences. Pour diminuer les risques de litiges perturbateurs et préserver la réputation d’un projet, il importe d’intégrer la question du droit d’auteur et des droits moraux dès la planification ou lorsque des autorisations sont requises.
Notre équipe en propriété intellectuelle travaille en étroite collaboration avec nos collègues en immobilier afin de vous accompagner dans la gestion de ces enjeux.