Récemment, la Ville de Gatineau («la Ville») a réclamé à la compagnie 1561660 Ontario Ltd (« Surgenor») et au Groupe Volvo Canada inc. (« Volvo ») la somme de 471 406,57 $, à titre de dommages subis et de réduction du prix de vente, quant à l'achat de sept camions à dix roues que la Ville considère être atteints d'un vice/défaut de conception[1].
Malheureusement pour la Ville, la Cour supérieure ne partage pas cet avis et refuse d'octroyer une telle indemnité.
Les faits du différend
Le 15 mai 2014, la Ville lance un appel d'offres public pour l'achat de sept camions à dix roues avec équipement de déneigement. Le 9 juillet 2014, Surgenor remporte cet appel d'offres et livre, le 30 janvier 2015, sept camions de marque Mack à la Ville.
Peu de temps après la mise en service des camions Mack, des chauffeurs se plaignent d'un inconfort important lié aux vibrations, ainsi qu'aux chocs et contrecoups ressentis lorsque la chaussée est accidentée.
Après avoir retiré les sept camions de la «flotte» et étudié le phénomène à l'aide d'experts, la Ville arrive à la conclusion que la suspension des camions est trop rigide pour effectuer des transports quatre saisons, surtout lorsque les routes ne sont pas en parfaites conditions. Le souci pour la Ville, c'est que la rigidité de la suspension ne cause aucun problème lorsque les camions sont munis de l'équipement nécessaire aux opérations de déneigement.
La Ville considère tout de même que la difficulté des camions à être utilisés à longueur d'année, notamment pour faire du transport de matériaux en vrac, constitue un vice de qualité/conception rendant lesdits camions impropres à l'usage auquel ceux-ci sont destinés. Pour cette raison, elle entreprend une procédure judiciaire.
De leur côté, Surgenor et Volvo prétendent qu'aucun vice de conception n'affecte les camions, puisque ceux-ci respectent parfaitement les caractéristiques exigées par la Ville dans le cadre de l'appel d'offres.
Qu'en dit le droit?
En matière de vente, l'article 1726 du Code civil du Québec[2] prévoit la garantie de qualité contre les vices cachés. Cette garantie de qualité permet de garantir à l'acheteur le plein usage du bien, c'est-à-dire d'assurer qu'aucune défectuosité ne rende le bien impropre à l'usage auquel celui-ci est destiné, et ce, pendant la durée de vie utile dudit bien.
Afin de déterminer s'il y a présence d'un vice de conception pouvant enclencher l'application de la garantie légale de qualité, il faut donc évaluer si le bien est atteint d'un déficit d'usage en fonction des attentes légitimes de l'acheteur raisonnable[3]. Ces attentes légitimes s'évaluent à la lumière de divers critères comme la nature du produit, sa destination, les informations données par le fabricant et le distributeur, et les stipulations du contrat[4].
En l'espèce, la Cour supérieure utilise principalement le devis et les documents d'appel d'offres préparés par la Ville pour déterminer l'intention de la Ville quant à l'usage projeté des camions. La Cour supérieure arrive à la conclusion que, outre quelques rares mentions d'usage quatre saisons, les documents contractuels contiennent principalement des exigences liées à l'exécution de travaux de déneigement.
Le Tribunal évalue donc la qualité des camions, ainsi que l'usage qui en est fait, selon les caractéristiques propres aux camions de déneigement et non selon celles de camions à utilisation quatre saisons.
Étant donné que Surgenor et Volvo ont livré des camions parfaitement capables d'effectuer des déneigements et qui respectent pleinement les exigences fixées par la Ville dans l'appel d'offres, la Cour supérieure conclut que les camions ne sont atteints d'aucun vice de conception.
Pour en ajouter, la Cour supérieure mentionne que ce n'était pas aux soumissionnaires de spéculer sur les intentions de la Ville, mais bien à la Ville d'exprimer clairement ses besoins dans les documents d'appel d'offres[5]. De cette manière, la Ville est la seule responsable de l'écart entre l'usage qu'elle a déclaré aux soumissionnaires et l'usage qu'elle projetait réellement faire des camions[6].
Pour toutes ces raisons, la Ville n'a droit à aucune indemnité.
Quoi retenir de cette affaire?
Ce jugement doit être lu comme une mise en garde pour tout acheteur. En fait, cette affaire rappelle combien il est important de bien communiquer ses intentions quant à l'usage que l'on prévoit faire d'un bien/véhicule routier, et ce, préalablement à son achat. Dans le cas contraire, il se pourrait que vous obteniez, tout comme la Ville de Gatineau, exactement ce que vous avez demandé!
[1] Ville de Gatineau c. 1561660 Ontario Ltd et al., 2023 QCCS 4242.
[2] Code civil du Québec, L.Q 1991, c. 64, art.1726.
[3] Ville de Gatineau c. 1561660 Ontario Ltd et al., 2023 QCCS 4242, par.76.
[4] Lise Fortin et al. c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, par. 80.
[5] Ville de Gatineau c. 1561660 Ontario Ltd et al., 2023 QCCS 4242 par. 100.
[6] Id., par. 104.
Cette publication a été présentée dans le Transport Magazine.