Introduction
L'acquisition d'une propriété immobilière s'avère souvent l'investissement le plus important d'une vie pour de nombreux particuliers. Dans ce contexte, il est de bon usage d'obtenir un rapport sur l'état du bâtiment auprès d'un inspecteur, bien qu'une telle démarche ne soit pas légalement requise[1] .
Les informations contenues dans le rapport s'avéreront utiles pour l'acheteur à de nombreux égards, notamment :
- Il connaîtra d'emblée les vices apparents affectant le bâtiment et les risques qui y sont liés ;
- Il établira un plan d'entretien de sa propriété, selon le degré de vétusté de certaines composantes ;
- Il budgétera les travaux projetés pour éviter un surendettement résultant de l'acquisition ;
- Il pourra potentiellement négocier une réduction de prix de vente de l'immeuble.
Or, malgré ces multiples avantages et bénéfices, un rapport d'inspection préachat peut également s'avérer un ennemi si l'acheteur n'en suit pas les recommandations.
La décision Anderson c. Turcotte[2], opposant Jean Anderson et Mélanie Laroche (« les acheteurs »), Dany Turcotte et Andréa Gosselin (« les vendeurs »),[3] en illustre concrètement les conséquences.
Avant d'en analyser le contenu, un bref survol de certaines notions juridiques s'impose.
La gravité du vice et la portée de la garantie légale
L'article 1726 du Code civil du Québec prévoit une garantie légale à la charge du vendeur destinée à protéger l'acheteur contre les vices cachés affectant le bien vendu. Cette garantie ne vise pas la simple présence d'un défaut, mais plutôt l'état défectueux du bien.
Pour donner ouverture à un recours alléguant un vice caché, la jurisprudence dégage quelques conditions essentielles. Le vice doit être grave, caché, antérieur à la vente et inconnu de l'acheteur au moment de la transaction. L'acheteur doit également dénoncer le vice au vendeur dans un délai raisonnable à partir de sa découverte.
Cela dit, le fait qu'un bien contrevienne aux normes établies ne signifie pas automatiquement qu'il est affecté d'un vice caché. De même, un bien peut être conforme aux normes applicables tout en étant affecté d'un vice, si celui-ci compromet véritablement son usage.
Ce qui est déterminant, c'est la présence d'un déficit d'usage réel et objectif, tel qu'il serait ressenti par tout acheteur raisonnable. Ce déficit doit rendre le bien impropre à l'usage auquel il est destiné ou en diminuer tellement l'utilité que l'acheteur, s'il avait connu le vice, n'aurait pas acheté ou n'aurait pas payé un prix aussi élevé. Ce critère représente la condition de gravité du vice, l'une des conditions essentielles pour un recours en vice caché.
Les faits
Le 20 janvier 2019, les acheteurs visitent la propriété des vendeurs et sont informés qu'il s'agit d'une autoconstruction réalisée par les vendeurs. La journée même, ils signent une promesse d'achat de l'immeuble conditionnellement à la réalisation de douze travaux avec une clause de retenue de 15 000 $ en cas de non-exécution.
Quelques jours plus tard, les acheteurs signent une convention de service d'inspection, dont le mandat est donné à Simons Hinse (« Hinse »). Par cette convention, les acheteurs limitent le mandat et refusent que soit exécutée une inspection exhaustive de l'immeuble. Les clauses de la convention précisent également les limites de l'inspection :
L'inspection n'a pas pour but ni ne peut permettre de découvrir les vices cachés pouvant affecter L'IMMEUBLE mais vise à déceler les défauts apparents et les signes révélateurs de problèmes pouvant affecter de façon substantielle l'intégrité et l'utilité de L'IMMEUBLE, ainsi qu'à rencontrer l'obligation d'examen prudent et diligent de L'IMMEUBLE qui est imposée à un acheteur par l'article 1726 du Code civil du Québec reproduit au verso, le tout afin de préserver les droits du CLIENT en matière de recours pour vices cachés contre le vendeur.
Le 30 janvier 2019, une modification à la promesse d'achat est signée par les acheteurs pour y inclure davantage de travaux. Les autres modalités contenues à la promesse d'achat initiale du 20 janvier 2019 demeurent.
Les acheteurs ne visitent la propriété à nouveau que le 13 mars 2019, soit juste avant de signer l'acte de vente chez le notaire. Comme certains travaux doivent encore être réalisés, les acheteurs retiennent 15 000 $ du prix de vente et achètent la propriété avec garantie légale.
Trois ans plus tard, les acheteurs poursuivent les vendeurs pour vices cachés et en responsabilité. Les acheteurs allèguent que les vices cachés sont des vices de construction, de conception et d'installation relevant directement de la responsabilité des vendeurs en leur qualité d'autoconstructeurs. Ils soutiennent qu'ils n'auraient jamais acheté la propriété ou qu'ils n'auraient pas payé un prix aussi élevé, s'ils avaient connu les vices. Les acheteurs poursuivent également Hinse et Inspection AP & associés Saint-Hyacinthe-Granby (« AP »), inspecteurs en bâtiment et en responsabilité.
Les vendeurs et Hinse contestent toutes les allégations et les prétentions des acheteurs. Hinse affirme aussi avoir agi en tout temps conformément aux règles de l'art.
La décision
L'importance du rapport d'inspection
La Cour souligne que le fait que la maison soit une autoconstruction aurait dû éveiller la vigilance des acheteurs, d'autant plus qu'ils semblent avoir agi sous l'impulsion d'un coup de coeur. Bien qu'ils aient retenu les services d'un inspecteur en bâtiment, ce qui milite en faveur d'une démarche prudente et diligente, encore fallait-il qu'ils tiennent compte des recommandations formulées dans le rapport d'inspection. En effet, le fait qu'il s'agisse d'une autoconstruction ne permet pas aux acheteurs d'ignorer les recommandations.
La Cour retient que le comportement des acheteurs à l'égard du rapport d'inspection démontre qu'ils ne lui ont accordé que peu d'importance. La preuve révèle qu'en réalité, ils ne s'en sont jamais servis. Après sa réception, ils ne contactent pas M. Hinse pour obtenir des précisions sur les avertissements et les recommandations formulés. Ils ne l'ont contacté que plusieurs mois plus tard, et uniquement en lien avec un problème de plomberie.
Leur empressement témoigne d'une certaine négligence, malgré le recours à un professionnel. En effet, lorsqu'un acheteur fait appel à un expert, la présence d'indices révélateurs d'un vice potentiel impose une obligation de pousser l'inspection plus loin ; à défaut, le vice pourrait être considéré comme apparent et donc non couvert par la garantie.
En l'espèce, les acheteurs n'ont pas approfondi les vérifications nécessaires, ce qui a contribué au rejet de leur demande introductive d'instance modifiée. Cela met en lumière l'importance, pour un acheteur, de lire attentivement le rapport d'inspection et de suivre les recommandations qui y sont formulées.
La portée de l'inspection préachat
Dans leurs prétentions, les acheteurs tentent fréquemment d'imputer la responsabilité de certains vices à l'inspecteur en bâtiment. Or, comme mentionné précédemment, ils avaient expressément refusé une inspection exhaustive. Les limites de l'intervention de l'inspecteur sont d'ailleurs clairement établies dans le contrat, lequel précisait qu'il s'agissait d'une inspection strictement visuelle.
La Cour rappelle qu'une inspection préachat ne constitue pas une expertise. Il s'agit d'un examen rapide et non approfondi, qui ne permet pas de détecter tous les vices potentiels, notamment ceux qui sont dissimulés ou inaccessibles au moment de l'inspection. L'inspecteur n'a donc aucune obligation de déplacer des objets.
Ces limites sont réitérées à plusieurs reprises par la Cour dans son analyse des vices allégués, et contribuent au rejet de plusieurs d'entre eux.
Le commentaire de l'auteur et la conclusion
La décision Anderson illustre l'importance du rapport d'inspection préachat. Il ne suffit pas seulement de le lire ; l'acheteur doit aussi suivre les recommandations mentionnées et, le cas échéant, poser des questions à l'inspecteur quant aux préoccupations soulevées.
L'acheteur ne peut pas assimiler toutes les problématiques découvertes dans sa propriété à des vices cachés, notamment lorsque celles-ci ne sont pas suffisamment graves pour rendre le bien impropre à l'usage auquel il est destiné ou en diminuer l'utilité de façon importante. En outre, pour préserver ses droits, IL ne peut procéder unilatéralement aux réparations selon ses propres standards, sans d'abord permettre au vendeur de constater les vices et de proposer les correctifs.
Bref, entre vigilance au moment de l'achat et dénonciation en temps opportun, la protection de l'acheteur passe d'abord par sa propre rigueur.
[2] EYB 2025-566569 (C.S.).
[3]Anderson c. Turcotte, 2025 QCCS 963, EYB 2025-566569.
Date de dépôt : 28 octobre 2025